Droits de succession : Le Conseil Constitutionnel s’est prononcé sur l’épineuse question des héritiers réservataires.
Dans le contexte des successions complexes, le paiement des droits de succession peut devenir un véritable casse-tête, notamment pour les héritiers réservataires. La récente décision du Conseil constitutionnel en date du 1er juin 2023 apporte des éclaircissements, mais soulève également de vives critiques parmi les praticiens du droit. Cet arrêt, résultant d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), confirme que les héritiers réservataires doivent s’acquitter des droits de succession dans les six mois suivant le décès, même s’ils n’ont pas encore perçu les fonds de leur créance.
Le dilemme des héritiers réservataires
La situation se présente souvent de la manière suivante : en présence d’un légataire universel, les héritiers réservataires ne sont pas co-propriétaires de la succession. Le légataire universel reçoit l’intégralité du patrimoine, mais il est redevable d’une indemnité de réduction aux héritiers réservataires, représentant leur part d’héritage légale. Le problème survient lorsque des désaccords entre les parties retardent le règlement de cette indemnité.
Dans l’affaire jugée, le fils du défunt s’est retrouvé dans cette situation. Un protocole d’accord a été signé cinq ans après le décès, bien au-delà du délai légal de six mois pour le dépôt de la déclaration de succession et le paiement des impôts y afférents (articles 641 et 1701 du Code général des impôts – CGI). En conséquence, l’administration fiscale a réclamé des pénalités pour retard.
L’héritier a alors contesté la conformité de cette obligation au principe constitutionnel de l’égalité devant les charges publiques, estimant qu’il ne pouvait pas payer un impôt sur des sommes qu’il n’avait pas encore reçues.
Le Conseil Constitutionnel valide le dispositif fiscal
Saisi de la question, le Conseil constitutionnel a néanmoins validé la loi, déclarant que les dispositions du Code général des impôts sont conformes à la Constitution.
Le Conseil a appuyé sa décision sur trois arguments principaux :
- Une créance certaine : La créance de l’héritier réservataire envers le légataire universel est considérée comme certaine dès l’ouverture de la succession.
- Moyens de recouvrement : Les héritiers disposent de procédures légales pour garantir et recouvrer leur créance.
- Désignation d’un mandataire : Les héritiers peuvent demander au juge la désignation d’un mandataire successoral.
Une décision critiquée pour son décalage avec la réalité
Malgré la clarté de la décision, le Conseil constitutionnel semble ignorer le décalage entre la théorie juridique et les réalités pratiques des successions litigieuses.
Le temps de la justice vs. le temps du fisc : Les procédures judiciaires et les négociations entre héritiers peuvent prendre des mois, voire des années. Or, le délai de six mois imposé par l’administration fiscale est inflexible. L’héritier est contraint de payer des impôts sur une créance dont il ne dispose pas encore, et ce, sans possibilité d’obtenir un report de paiement.
Les pénalités : Les intérêts de retard (0,20% par mois) et les majorations (10% à 40%) sont censés sanctionner la négligence, mais ils pénalisent ici des héritiers dont le retard est involontaire.
La remise gracieuse : La possibilité de demander une remise gracieuse n’offre aucune certitude, car elle est laissée à l’appréciation subjective de l’administration fiscale, ce qui va à l’encontre du principe d’égalité.
Solutions pratiques et perspectives
Face à ce dilemme, les héritiers réservataires ont peu d’options. Ils peuvent :
- Payer l’impôt de leur poche : S’ils en ont la capacité financière.
- Contracter un prêt : En espérant que la banque accepte de financer une dette fiscale sur une créance non encore perçue.
- Demander une provision en justice : Une démarche incertaine et chronophage qui ne résoudra pas la question du délai de six mois.
Il apparaît clairement que le système actuel, validé par le Conseil constitutionnel, peut mettre les héritiers réservataires dans une situation financière délicate, voire intenable. La seule véritable solution, qui ne convainc pas le Conseil, serait que les intérêts et majorations ne soient pas appliqués lorsque le retard est causé par des circonstances indépendantes de la volonté de l’héritier.
Cette décision soulève la question de la pertinence des délais fiscaux par rapport à la réalité des litiges successoraux. La problématique s’étend d’ailleurs à d’autres situations de succession conflictuelles, où l’héritier doit déclarer et payer des droits sur des biens qui font l’objet d’un litige. La porte du droit européen pourrait être la prochaine étape pour contester cette jurisprudence.